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Ao, le dernier Néandertal - interview de Jacques Malaterre

Interview de Jacques Malaterre
Ao le dernier Néandertal

"Raconter un destin à la préhistoire, c'est montrer que les problèmes humains étaient les mêmes mais certainement gérés de manière plus ouverte par nos ancêtres."

Jacques Malaterre, interview à propos de Ao le dernier néandertal

En pleine période d'avant première pour le film Ao le dernier néandertal, Jacques Malaterre a accepté de répondre à quelques questions pour Hominidés.com.
En attendant la sortie du film le 29 septembre 2010 dans les salles françaises...






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AO le dernier Neandertal est à la fois une suite logique à votre trilogie L'Odyssée de l'Espèce mais également un changement de genre... Pourquoi être passé du documentaire à la fiction ?
Jacques Malaterre : Après L'Odyssée de l'espèce, j'ai eu envie de redonner ses titres de noblesse à la préhistoire en montrant que, depuis La Guerre du Feu, elle pouvait encore être un vrai lieu de prédilection pour raconter des histoires, mais aussi développer des personnages possédant des valeurs humaines capables d'éclairer nos vies d'aujourd'hui.
Terres d'aventures, destinées romanesques, protagonistes proches de nous, autant d'éléments qui peuvent s'inscrire dans un temps où le réalisme sera de rigueur.
Au cœur de cette envie, Neandertal s'est imposé. Son destin tragique, son physique hors du commun et sa relation au monde en faisaient un héros incontournable.

Êtes-vous resté fidèle au roman de Marc Klapczynski ou avez-vous dû modifier des scènes pour être plus proche de la réalité scientifique ?
Ao l'homme ancienJM : Le roman Ao, l'Homme Ancien de Marc Klapczynski a été l'élément déclencheur de cette aventure. L'étincelle qui donne l'énergie de se lancer. Son personnage était ce que je voulais que mon héros soit à l'écran. Mais un roman n'est pas un scénario et aucune littérature n'est filmable à l'état brut. J'ai donc commencé un long travail d'adaptation en collaboration avec Michel Fessler. Il nous a fallu donc réinventer les éléments dramaturgiques et émotionnels tout en restant fidèles à la dimension philosophique et humaine qu'avait voulu mettre Marc Klapczynski dans son livre et qui m'avait touché à la lecture.
La grande difficulté était donc de créer des scènes pouvant se vivre pleinement sans dialogue compréhensible, au service d'un récit, et s'inscrivant dans une préhistoire réaliste permettant au spectateur de se plonger dans une aventure tout en découvrant la terre de nos ancêtres.

Combien de temps a été nécessaire à la préparation du film, les repérages, les recherches scientifiques... ?
JM : Le projet est né en janvier 2004. Plus de deux ans d'écriture ont été nécessaires à l'élaboration du script. Ce travail s'est fait dans les connaissances ou les hypothèses que nous savons aujourd'hui sur cette période, le tout avec une consultation et un échange permanents avec Marylène Patou-Mathis.
Deux ans de plus se sont ajoutés pour la recherche des décors qui devaient raconter une Europe d'il y a 30 000 ans, vierge de toute modernité... ! C'est en arpentant avec passion et patience les paysages les plus reculés que petit à petit se sont dessinés les décors de AO, le dernier Neandertal.
Ce temps a permis aussi à UGC, qui a eu le courage de me suivre dans cette aventure, de monter le budget du film qui s'est élevé à 14 millions d'Euros, lourde tâche mais réussie, en convaincant les différents coproducteurs de se lancer dans la préhistoire.
Les deux dernières années ont été entièrement consacrées à la fabrication du film.
J'ai effectué le choix des deux premiers rôles, Simon-Paul Sutton et Aruna Shields à Londres, en collaboration avec le directeur de casting de Ken Loach, Desmond Hamilton. Après le visionnage de 600 vidéos, qui étaient essentiellement centrées sur des corps : « petits, trapus et blancs », pour Neandertal et « élancés et basanés » pour Sapiens, j'ai sélectionné 300 comédiens avec qui j'ai travaillé en workshop durant 3 semaines avant de porter mon choix sur les deux heureux élus.
J'ai fait le même type de sélection en Bulgarie sur plus de 1600 acteurs et non-acteurs, pour n'en garder à la fin que 200.
Après, nous avons travaillé pendant quatre mois tous ensemble en répétitions, acteurs et figurants, afin de réveiller l'âme de l'homme préhistorique qui sommeille en nous. Temps et émotion partagés qui nous ont permis de créer une véritable famille.
De leur côté Christian Marti, créateur des décors et accessoires, Jean-Daniel Vuillermoz, créateur des costumes et Adrien Morot, créateur des maquillages et effets spéciaux, travaillaient à la fabrication de tous ces éléments qui allaient permettre au film de prendre vie. Ils ont tous appuyés leur expression artistique sur les connaissances scientifiques avec le partenariat étroit et actif de Marylène Patou-Mathis.
Février 2009, tout le monde était enfin prêt pour se lancer dans l'aventure, le tournage pouvait commencer.

Comment s'est passée votre collaboration avec Marylène Patou-Mathis, spécialiste des Néandertaliens ?
JM : Lorsque artistes et scientifiques travaillent ensemble, une confiance mutuelle doit baigner leur collaboration. L'entente doit être totale dans l'envie partagée. Les premiers ne doivent pas avoir peur que le « savoir » soit un frein à leur imaginaire, et les seconds, dans le cadre d'une fiction, accepter que la licence poétique puisse conduire le récit là où la science s'interdit encore d'aller.
Contrairement à mes précédents films qui étaient des documentaires-fictions et où Yves Coppens était mon directeur scientifique, Marylène Patou-Mathis, sur AO, le dernier Neandertal était ma conseillère scientifique. Compte tenu du caractère fictif du script, son rôle n'était pas de m'interdire ou de me prescrire. Bien au contraire, sa voix et ses remarques étaient là pour m'aider à aller plus loin et veiller à ce que mes rêves ne poussent pas trop loin les bornes de la science, au risque de transformer l'histoire ou la préhistoire en récit de science-fiction.
Notre entente a été parfaite et amicale, et si parfois j'ai dû modifier certaines scènes suite à ses remarques, cela n'a jamais été au détriment de la dramaturgie ou de l'émotion, mais plus au service de mon envie. Celle de faire un film où le spectateur remonte le temps de 30 000 ans pour se retrouver dans un monde vrai et réaliste où l'Homme, Neandertal ou Sapiens, retrouve toute sa vérité pour mieux en révéler son humanité.

Les scientifiques sont encore partagés sur le fait que Neandertal avait ou non un langage articulé. Comment avez-vous reconstruit le langage de Neandertal ?
JM : Je crois qu'aujourd'hui, la question ne pose vraiment plus sur le fait que Neandertal possédât un langage articulé ou alors ce serait revenir 100 ans en arrière. !
Comme pour mes précédents travaux, j'ai travaillé sur le langage avec Pierre Pelot, romancier. Ce dernier écrit depuis plusieurs années des romans se déroulants à la préhistoire. À cette époque, désireux de faire parler ses personnages Neandertal ou Sapiens, il avait élaboré avec des scientifiques une sorte de mini lexique de mots « préhistoriques » à l'écriture et à la phonétique, imaginés certes, mais de façon sérieuse.
Leurs recherches s'étaient appuyées essentiellement sur comment avaient pu se transformer les cris du singe lorsque se mettant debout, son larynx s'est développé et son palais s'est creusé, quelles étaient les correspondances de sons dans les langages ethniques connus à ce jour, et enfin quels sont les mots à sonorité commune dans les langues modernes d'aujourd'hui qui sont parlées dans le monde.
Avec L'Odyssée de l'Espèce et Homo Sapiens nous avons poursuivi ce travail, jusqu'à AO, le dernier Neandertal où des listes de plus de centaines de mots « Sapiens ou Neandertal » existaient sur le papier dans leur « orthographe » comme dans leur « phonétique ». Il ne nous restait plus avec Michel Fessler qu'à écrire des dialogues dans une pensée directe et une économie de métaphores afin de pouvoir les traduire dans nos langues inventées. Par la suite, les acteurs s'en sont emparés et les ont fait leurs.
Des paroles imaginées... certainement mais dans la passion du sérieux ou le sérieux de la passion.
Enfin, n'oublions pas Monsieur Jourdain de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, alors peut-être avons-nous fait du Neandertal ou du Sapiens dans une totale ignorance... !

L'ensemble du film donne de Neandertal une image assez écologique et proche de la nature, contrairement à Homo Sapiens qui est presque plus brutal et « intéressé ». Pour vous, Neandertal était un écologiste avant l'heure ?
JM : Homo Sapiens a toujours été un véritable conquérant, il veut toujours aller plus loin : l'Afrique, l'Asie, l'Europe, l'Amérique... la Lune et bientôt Mars, il n'a de cesse de toujours agrandir son territoire. Neandertal, pourtant plus longtemps présent sur la planète, s'est contenté d'une Europe élargie, satisfait de son statut et de sa vie. C'est cette différence fondamentale entre ces deux espèces que j'ai volontairement forcée dans AO, le dernier Neandertal, comme une sorte de durcissement du trait au service de la fiction, permettant aux caractères du héros et des autres protagonistes de mieux se révéler.
AO, préférant laisser la place plutôt que d'aller jusqu'à l'affrontement, Sapiens désirant ce qu'il n'a pas et rejetant, pour certains, celui qui ne lui ressemble pas.
Néanmoins on ne peut oublier qu'ils étaient chacun de grands voyageurs et donc porteurs des valeurs du nomadisme qui malheureusement disparaissent toujours un peu plus chaque jour par le changement de nos sociétés et le rejet des nations.
Ainsi nos ancêtres nomades avaient-ils conscience de la fragilité de la vie, de l'équilibre naturel des choses et ne prenaient à la nature que ce dont ils avaient besoin. Une conscience de l'autre, un respect pour tout ce qui est vivant et qui malheureusement va commencer à se déliter le jour où l'homme s'arrête de marcher et décide de devenir sédentaire.

Avez-vous voulu faire passer un message ?
JM : Faire un film d'aventure à caractère romanesque sur fond de toile préhistorique, c'est débarrasser ses personnages de tous les tissus sociaux actuels qui masquent peut-être la vérité de ce que nous sommes dans notre générosité et notre humanité. Raconter un destin à la préhistoire, c'est montrer que les problèmes humains étaient les mêmes mais certainement gérés de manière plus ouverte par nos ancêtres. Apprendre qui nous étions c'est comprendre ce que nous sommes. En ces temps de crise, n'oublions jamais ce proverbe africain qui dit : « Quand tu ne sais plus où tu vas, arrête-toi, retourne-toi et regarde d'où tu viens... » Alors peut-être que l'histoire d'AO éclaire nos vies quand on parle du rejet de la différence ou de l'acceptation de l'étranger, d'identité non pas nationale mais planétaire, de maternité, de sentiment de paternité, de famille recomposée ou des valeurs du nomadisme, sans oublier bien sûr la place de l'homme dans la nature.


En avril 2010, la publication d'une étude scientifique semble prouver que les Homo sapiens ont quelques gênes en commun avec Neandertal. Lorsque le film a été tourné en 2009 la majorité des scientifiques pensait que les deux espèces ne s'étaient jamais mélangées. Vous avez eu une prémonition en incluant une scène d'amour mixte Sapiens / Neandertal ?
JM : La scène d'amour mixte entre Sapiens et Neandertal existait dans le livre, mais il fallait travailler sur le film avec des scientifiques. C'était bien évidemment intégrer une part de leur savoir, mais aussi et surtout partager un bout de vie en faisant une partie du chemin ensemble. Loin des laboratoires et des amphithéâtres, ils se détendent et se racontent, ils disent leurs rêves inavoués que la science leur interdit de communiquer.

En tant que raconteur d'histoires, je me devais d'être le passeur de ces rêves les plus fous et d'assumer sans crainte ce choix scénaristique. Inconscience diront les uns, intuition diront les autres ou tout simplement le hasard, mais « le hasard n'est-il pas la volonté des dieux qui veulent garder l'anonymat » ?


Filmographie Jacques Malaterre
L'Odyssée de l'espèce
Homo sapiens
Le Sacre de l'homme
Ao le dernier néandertal

Les avant-premières du film AO, le dernier Néandertal


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