La préhistoire raconte. Elle raconte les aventures des pionniers et des découvreurs, les trouvailles de squelettes fossilles et d'outils de pierre taillée. Elle raconte la révélation éblouie des grottes ornées de peintures polychromes. Surtout, elle raconte l'avènement et le devenir de l'Homme au long d'un itinéraire jalonné de transformations et d'inventions, d'extinctions, de migrations et de rencontres. La fiction est rendue nécessaire en préhistoire par la nature fragmentaire de ses preuves qu'il faut "mettre en intrigue" pour raconter une histoire. En retour, les savoirs de la préhistoire se trouvent appliqués, impliqués dans des oeuvres de fiction. Depuis cent cinquante ans, tout un ensemble de textes littéraires, romanesques, poétiques, méditatifs, sont produits avec une extraordinaire profusion,  et souvent une grande inventivité. L'écriture donne chair aux êtres du passé profond, les re-présente avec lyrisme, humour, fantaisie. / 

Chronique de Pedro Lima

De l’association Périgord Patrimoines, installée au cœur du territoire si riche en vestiges de passés proches et lointains dont elle a emprunté le nom, on connaissait déjà les cahiers Sédiments, qui revisitent avec qualité, entre autres réalités périgourdines, ses sites paléolithiques locaux, ses grottes ornées ou ses rivières chargées d’histoire humaine. C’était ainsi le cas d’un splendide numéro intitulé Bestiaire périgourdin (2015), consacré à la place de l’animal dans l’histoire du Périgord, en particulier représenté sur les parois de ses cavités mais pas seulement, ou d’un opus joliment baptisé Les Beunes, vallées magnétiques, dédié aux deux rivières, grande et petite Beune, dont les berges regorgent, comme les Vézère et Dordogne voisines, de trésors gravés, sculptés et peints lors du paléolithique supérieur. Avec cette nouvelle livraison, Anthologie de la préhistoire littéraire, c’est à un nouveau voyage que convie Périgord Patrimoines, sous la conduite de Claudine Cohen et Romain Bondonneau, avec, cette fois, la plume et les textes comme principale boussole. De Bataille à Asimov, de Malraux à Cavanna, de Calvino à Kipling, voici en effet une vaste et très éclectique sélection d’extraits d’œuvres littéraires ayant, de près ou de loin, tenté de saisir les contours de notre humanité naissante, ou des mondes qui nous ont précédés, jusqu’aux lointains dinosaures. On y retrouve donc avec grand plaisir certains classiques de la littérature de préhistoire, genre prolixe, tels que les incontournables Guerre du feu de Rosny-Aîné, Pourquoi j’ai mangé mon père de Lewis ou Les animaux dénaturés de Vercors... Mais aussi, et c’est là tout l’apport de la recherche pointilleuse de l’éditeur, des pépites méconnues et inattendues, qui rappellent que la question de nos origines a titillé, et inspiré, de très nombreux auteurs dont la préhistoire n’était pas le domaine de prédilection : Simone de Beauvoir évoquant dans Le deuxième sexe la condition des femmes préhistoriques, Marcel Pagnol mettant en scène une romance paléolithique, ou encore Gustave Flaubert, dont on apprend qu’il signait certaines de ses lettres à sa nièce « le Préhistorique » ou « le vieillard de Cro-Magnon ». Justement introduit par la préhistorienne Claudine Cohen, et superbement illustré des œuvres du peintre, dessinateur et graveur Gérard Titus-Carmel, ce numéro de Sédiments revisite avec goût et qualité une bonne part, nécessairement partielle, de ce que la littérature mondiale a consacré talentueusement à la condition de nos ancêtres.