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Aux origines de la domination masculine
Aux origines de la domination masculine
Claudine Cohen
Passés / Composés
Compte rendu Romain Pigeaud
Présentation par l’éditeur :
Aucune société n’échappe à la domination masculine. Longtemps, la hiérarchie entre les sexes – une des structures sociales les plus prégnantes et les plus résistantes des sociétés humaines – fut considérée comme une donnée naturelle, une prédestination, et pour les femmes, une fatalité. Pourtant, les qualités et les rôles attribués de manière différenciée aux hommes et aux femmes sont socialement construits et varient en fonction des contextes culturels, sociaux et historiques. Pour mieux comprendre les formes de cette emprise, et pour mobiliser les moyens de s’en libérer, il est important d’en faire la généalogie. Parcourant l’ensemble des temps préhistoriques, de l’origine de l’humanité il y a 7 millions d’années jusqu’aux peuples de la protohistoire qui inventèrent l’écriture aux âges du Bronze il y a 5 000 ans, Claudine Cohen retrace le processus qui a conduit, en plusieurs étapes cumulatives, de l’apparition des premières traces de domination exercée par les hommes sur les femmes à l’institutionnalisation du patriarcat. En interrogeant les modes de fonctionnement des groupes humains « aux origines » – choix du partenaire, constitution de familles élargies, et d’alliances entre les individus et entre les groupes – elle identifie les fondements d’un ordre social qui, aujourd’hui encore, détermine nos existences.
256 pages
13,9 x 19,9 cm
Compte rendu Romain Pigeaud
Pour les « masculinistes », la hiérarchisation des genres serait inscrite dans la Nature. L’Homme serait naturellement plus fort que la Femme ; elle lui serait soumise et lui assurerait sa protection, tout en veillant à ce qu’elle ne fasse pas un enfant avec un autre. Dans son nouveau livre, qu’il faudrait faire lire à tous les lycéens, Claudine Cohen remet en quelque sorte le Phallus au centre du village. « La domination masculine n’est pas une essence immuable », explique-t-elle en huit chapitres précis et synthétiques, marqués de formules chocs qui semblent évidentes. Pour comprendre un phénomène, le mieux est de revenir aux origines : la Préhistoire et nos racines animales. Exit d’abord le « matriarcat primitif », mythe inventé par les Hommes pour justifier leur domination ; en effet, si celui n’existe plus, c’est bien parce que les femmes seraient incapables de diriger correctement ! Claudine Cohen commence par nous faire l’historique des « justifications » données par ces Messieurs (dont Charles Darwin, pour qui une épouse est « mieux qu’un chien, en tout cas ») : la compétition pour la reproduction justifierait la lutte entre mâles et la soumission des femelles, une fois séduites. Pourtant, cette règle n’est pas universelle dans le règne animal : c’est souvent la femelle qui choisit et il existe des espèces où le mâle s’implique dans l’éducation des petits. Ce sont les alliances entre mâles, en particulier chez les Chimpanzés, qui conduisent à l’isolement des femelles et à leur sujétion. Première piste : la domination masculine serait non une caractéristique naturelle, mais un phénomène social ; un coup monté ! Le genre humain a connu, lui deux changements majeurs qui vont exacerber ces tensions : la station verticale permanente, qui dissimule les organes génitaux, ainsi que la perte des signes de l’œstrus : « notre espèce est la seule chez qui l’ovulation qui rythme la vie hormonale des femmes est cachée […] dès lors, les relations sexuelles sont possibles en permanence, et aucun rythme n’est imposé à la sexualité ». Cette « disponibilité permanente au sexe », qui n’est plus entièrement vouée à la reproduction, peut entraîner deux conséquences : la méfiance envers les femmes, séductrices et sources de conflit, d’où la création de normes pour les contrôler ; ou bien, des sentiments d’attachement et de tendresse. L’accroissement de notre cerveau entraîna une naissance plus précoce des enfants, qui surviennent « inachevés » et sont dépendants durant quatre années au minimum ; les pères et des alloparents pourront aider la mère dans ce délicat processus, ainsi que les « grands-mères », des femmes ménopausées désormais disponibles. Hélas, d’autres phénomènes ont entraîné une hiérarchisation accrue : une certaine jalousie des hommes, incapables de donner la vie et qui s’approprient ce pouvoir symboliquement ; et la pratique de l’exogamie, qui exile les femmes dans des groupes étrangers et les prive donc de leurs liens familiaux, comme c’était déjà le cas chez Néandertal, ainsi que l’a démontré la génétique. Au Paléolithique (à rebours du cliché de l’homme préhistorique traînant sa femme par les cheveux), les deux sexes semblent avoir été complémentaires ; selon de savants calculs, la chasse ne fournissait que 30 % de l’apport en nourriture, le reste (petit gibier, végétaux, coquillages) étant collecté, sans doute par les femmes « qui ne se contentaient pas d’attendre le retour de leur valeureux mâle pour accéder à leur pitance ». Les témoignages ethnologiques montrent également que la répartition des tâches (boucherie, façonnage des outils, activités artistiques, éducation des enfants) est relativement égalitaire chez les chasseurs-cueilleurs. Il en était probablement de même au Paléolithique récent. Les choses se gâtèrent probablement au Néolithique : la sédentarisation confina les femmes dans la sphère domestique, à la merci des hommes. Les cimetières rubanés montrent des femmes mal nourries, parfois violentées ; au Chasséen, certaines furent jetées dans des silos sans ménagement après leur mort. Claudine Cohen tempère cependant cette vision pessimiste : il exista des groupes où les femmes furent davantage valorisées et respectées, même si ce ne fut sans doute pas hélas ! la majorité. Durant l’Âge du bronze, avec l’affirmation progressive du guerrier et la captation de nouveaux savoirs (métallurgie, écriture) par les hommes, le patriarcat va s’imposer et s’institutionnaliser. Claudine Cohen ne craint pas d’affirmer que la reproduction des femmes sera « domestiquée ». Voilà une vision bien sombre de l’humanité. Mais Claudine Cohen reste optimiste : la domination masculine est une construction sociale ; elle est donc réversible : « c’est bien au présent qu’il faut lutter contre les actes d’injustice et de barbarie perpétrés à l’égard des femmes, et affirmer hautement leur droit à bénéficier […] de conditions qui leur permettent d’exister à égalité avec les hommes ».
Romain Pigeaud-Leygnac
Romain Pigeaud est un archéologue, préhistorien français spécialiste de l’art pariétal, et éditeur scientifique.
L’autrice
Claudine Cohen est Directrice d’études à l’EHESS et à l’EPHE, où elle enseigne l’histoire et la philosophie des sciences. Elle a publié de nombreux ouvrages sur la paléontologie, la préhistoire et l’évolution humaine, parmi lesquels Le Destin du mammouth (2004, Un néandertalien dans le métro (2007) ), La méthode de Zadig (2011) et La Femme des Origines, Images de la femme dans la préhistoire occidentale (réed. 2013), couronné par l’Académie des Beaux-Arts et par l’Académie des Sciences morales et politiques, Femmes de la préhistoire (2016) Nos ancêtres dans les arbres (2021)
Sommaire de « Aux origines de la domination masculine »
Introduction – Domination, sexe et pouvoir
Chapitre 1 « Mieux qu’un chien, en tout cas » : les relations entre les sexes selon Darwin
Chapitre 2 Alliances de singes : Modèles animaux des relations entre les sexes
Chapitre 3 Une domination « par nature » ?
Chapitre 4 Exogamie, violence et domination masculine
Chapitre 5 Roles masculins et feminins au Paléolithique
Chapitre 6 Représentation humaine et domination masculine dans l’art paléolithique
Chapitre 7 Au Néolithique : pouvoirs masculins et sujetion des femmes
Chapitre 8 Les fondements du patriarcat
Chapitre 9 Qu’est-ce qu’un père ?
Conclusion
Notes
Bibliographie
Remerciements
Un extrait du livre « Aux origines de la domination masculine«
Dimorphisme sexuel et domination masculine
La force de l’homme et la fragilité de la femme ont souvent été invoquées comme des traits naturels justifiant la domination des uns sur les autres. Pourtant, ce dimorphisme n’est pas constant au long de la Préhistoire et même de l’histoire humaine. Darwin admettait que les deux sexes étaient à l’origine de stature égale. Chez les représentants anciens du genre Homo, on n’observe guère de dimorphisme sexuel prononcé, ni chez les erectus, ni chez les Néandertaliens, ni souvent chez les sapiens du Paléolithique supérieur. Au début du Néolithique, la stature des deux sexes diminue’4 – sans doute en rapport avec les transformations des modes de subsistance, et des conditions de vie qui s’imposent alors. Aux périodes plus tardives du Néolithique, les analyses ostéologiques montrent que, dans certains sites, la différenciation morphologique entre les sexes devient plus marquée : ce phénomène pourrait traduire une hiérarchie qui se creuse entre hommes et femmes. L’accentuation du dimorphisme sexuel est-elle l’effet des mauvais traitements infligés par les hommes, ou d’une sélection sexuelle qui se porte de façon privilégiée sur des femmes plus graciles ? L’accès réduit aux ressources et auxprotéines, surtout au cours de la grossesse, aggrave une fragilité préjudiciable aux femme. « La stature est un déterminant clé de la mortalité maternelle ». Accouchements douloureux et mutilants, morts en couche, qui furent des millénaires durant le lot des femmes, résulteraient de leur fragilité accrue. Loin de signifier une infériorité « par nature », la fragilité physique des femmes qui persiste dans de nombreuses sociétés actuelles pourrait être un effet de de leur soumission à de mauvais traitements : ce sont des phénomènes culturels et sociaux qui sont ici en jeu, dont les conséquences anatomiques et physiologiques révèlent l’emprise exercée par les hommes sur les femmes dans certains contextes de la Préhistoire humaine.
Des ouvrages sur la femme à la préhistoire







Des ouvrages sur la vie quotidienne à la préhistoire





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L’enfance de l’humanité
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