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Préhistoire de la violence et de la guerre
Préhistoire de la violence et de la guerre Marylène Patou-Mathis Editions Odile Jacobs
Une véritable compilation des études et des découvertes sur notre proche cousin, Néandertal.
Présentation par l’éditeur :
L’Homme a-t-il toujours été violent ?
La guerre est-elle consubstantielle au genre humain ou est-elle inhérente à la construction des sociétés modernes ? Nourri par les recherches scientifiques, le débat sur le pourquoi de la violence n’en finit pas de rebondir. Il donne à la querelle qui opposait Rousseau (le « bon sauvage ») à Hobbes (« l’homme est un loup pour l’homme ») une actualité toute nouvelle.
Pour en finir avec les approches caricaturales, Marylène Patou-Mathis propose avec ce livre une vaste enquête qui croise les données de l’archéologie et de l’anthropologie. Explorant les raisons qui ont transformé les chasseurs-cueilleurs en sociétés guerrières – sédentarisation et changement d’économie, avènement du patriarcat, apparition des castes –, elle pointe aussi le rôle des croyances et met en évidence l’existence d’une violence antérieure à l’apparition de la guerre.
Ainsi se dessine peu à peu le portrait d’un homme préhistorique, dont la violence exprime surtout ses peurs et ses premières pensées existentielles : humain, trop humain.
Editions Odile Jacob
Broché
208 pages
21,8 x 14,4 cm
Hominides.com
Pour expliquer, excuser, la violence de l’homme actuel on trouve souvent dans la littérature grand public, mais aussi dans des livres plus scientifiques une raison toute simple. L’homme d’aujourd’hui est violent car il a toujours été comme cela, c’est dans sa nature…
Marylène Patou-Mathis remonte aux origines de l’Homme pour trouver les traces de cette soi-disant violence originelle. Le chasseur-cueilleur du Paléolithique était-il vraiment aussi guerrier que l’on voudrait nous le faire croire ? Et si telle était sa nature, où sont les traces de cette fureur dévastatrice… Cette agressivité aurait dû laisser des marques, des vestiges, sur les fossiles humains. Or, si l’archéologie ne trouve que très peu de preuves de violence, elle met plus souvent en lumière des indices d’altruisme et de compassion.
Sans non plus exagérer dans la notion de « bon sauvage », chère à Rousseau, Marylène Patou-Mathis démontre que les hommes préhistoriques n’étaient pas non plus des êtres de violence… Ils pratiquaient, certes, le cannibalisme (rituel ou alimentaire) mais la guerre ne faisait pas encore partie des pratiques habituelles.
Ce n’est qu’avec la sédentarisation, l’agriculture, la notion de propriété, que les hommes du Néolithique vont, certes, se civiliser, mais vont devoir également protéger leurs acquis… et donc user de violence guerrière…
C.R.
L’auteur Marylène Patou-Mathis
Marylène Patou-Mathis est préhistorienne, directrice de recherches au CNRS, spécialiste des Comportements des Néandertaliens et des premiers Hommes modernes.
Elle est co-commissaire, avec Pascal Depaepe, de l’exposition » Neandertal » qui se tiendra au Musée de l’Homme (Paris) à partir de mars 2018.
Sommmaire La préhistoire de la violence et de la guerre
LA PREHISTOIRE : « AGE D’OR » OU « AUBES CRUELLES »
Les origines de la guerre
Chez -les chasseurs-cueilleurs paléolithiques
Des premiers sédentaires aux premiers producteurs
Le cannibalisme : premières traces de violence
Les premiers cannibales
Les plus anciens sacrifices humains
LES CAUSES DE L’APPARITION DE LA VIOLENCE ET DE LA GUERRE
La lutte pour les territoires et leurs ressources
La rencontre entre les Néandertaliens et les « hommes modernes »
L’arrivée des premiers agro-pasteurs en Europe
Le changement d’économie et ses conséquences sociales
Une évolution progressive et unilinéaire des sociétés ?
La domestication à l’origine des inégalités ?
Hierarchisation de la société et division sociale du travail
Système de parenté et structure familiale
Le rôle du sacré
Communication entre monde profane et monde sacré ou résolution des crises
L’apparition des sacrifices humains serait-elle liée à un changement de « dieux » ?
Violence et cannibalisme
L’homme est-il un loup pour l’homme ?
L’altruisme, catalyseur de l’humanisation ?
DE LA CONSTRUCTION DE LA VIOLENCE
Le « Préhistorique violent » : une double construction
Construction savante
L’image du « préhistorique violent » popularisé
Réalités archéologiques
La violence, un symptôme social ?
Quelques réflexions conclusives
Un extrait de La préhistoire de la violence et de la guerre
Réalités archéologiques
S’il est aujourd’hui difficile d’apprécier l’ampleur réelle des actes de violence durant la préhistoire, l’évaluation de l’importance de ce phénomène est probablement influencée par l’état des découvertes et des études. Néanmoins, à la lumière de la recension des données archéologiques que nous avons évoquées précédemment, il est possible d’avancer quelques réflexions. Il apparaît, d’une part, que le nombre de sites préhistoriques dans lesquels des actes de violence ont été observés est faible au regard de l’étendue géographique et de la durée de la période considérée (plusieurs centaines de milliers d’années) et, d’autre part, que si la violence envers autrui remonte à au moins 120000 ans 1, la guerre, elle, n’a pas toujours existé. Apparue, il y a moins d’une douzaine de milliers d’années, elle est peut être, comme le pensaient certains anthropologues évolutionnistes du XIXe siècle, le produit de la « civilisation ».
Violence sans guerre
Durant le Paléolithique, parmi plusieurs centaines d’ossements humains examinés, seuls deux attestent d’actes de violence volontaires: ils ont été perpétrés par l’Homme moderne (Homo sapiens’, De même, si le cannibalisme a été quelquefois pratiqué *, et ce depuis au moins 800000 ans, seuls deux cas témoignent que la victime a été agressée avant d’être mangée 3. En outre, si l’exocannibalisme est ici probable, il n’est pas certain, car il est généralement impossible de connaître le degré de parenté ou d’affiliation entre les mangeurs et les mangés. Bien que rares, ces cas attestent l’existence au Paléolithique de violence interpersonnelle dont la raison demeure inconnue. Ces actes violents peuvent découler d’une simple opportunité de prédation – appropriation de biens, du corps, (comme dans le cannibalisme alimentaire) ou de l’esprit d’autrui (asservissement) – ou d’un rapport au « sacré» comme dans le cannibalisme rituel qui peut être précédé par le sacrifice de la victime ‘, En revanche, du fait de la rareté des blessures sur les os humains et de l’absence de représentations de scènes de combats dans l’art pariétal ou mobilier « , on peut raisonnablement penser que la guerre n’existait pas, d’autant que la faible densité des populations et leur répartition sur un vaste territoire rendaient quasi nulle la probabilité que des affrontements aient eu lieu. En outre, une bonne entente entre ces petites communautés était indispensable à leur survie, en particulier pour assurer la reproduction, donc la descendance.
La première trace de violence collective a été découverte dans le Site 117 (à la frontière nord du Soudan) daté entre 13 140 à 14340 ans avant le présent, période d’aridification du climat. Enclavé dans la vallée fertile du Nil et cerné par des milieux naturels hostiles, ce site a semble-t-il suscité la convoitise de ses voisins de l’intérieur des terres, à moins que ce ne soit la diminution des ressources disponibles causée par l’augmentation de la densité de population qui aient provoqué une compétition interne pour leur accession. Mais jusqu’à présent le cas reste unique. On constate en effet que si les actes violents augmentent en même temps que les populations nomades de chasseurs-cueilleurs commencent à se sédentariser au début du grand réchauffement climatique, ils demeurent encore rares et majoritairement intracommunautaires. Dans certaines scènes rupestres datant de la période charnière entre le Paléolithique et le Néolithique, comme dans la grotte 2 d’Addaura II, des personnages ligotés et criblés de flèches représentent peut-être des victimes sacrificielles. Cependant leur appartenance ou non à la communauté ne peut être déterminée comme celle des victimes du cannibalisme constaté dans la grotte des Perrats ou celle de Gough. Comme le suggère Kelly, les diverses nécropoles des derniers chasseurs-cueilleurs de l’Eurasie peuvent traduire l’appropriation matérielle et mentale de territoires – en les peuplant de symboles susceptibles de renforcer la cohésion sociale – et de leurs ressources. En voulant les dominer, ils auraient alors provoqué l’accentuation de la notion de frontière.
Bertrand Roussel