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Chez les primates ce ne sont pas toujours les mâles qui dominent…
Une étude sur les agressions chez les primates montre que le mâle puissant et la femelle passive sont des images dépassées qui doivent évoluer. Selon les chercheurs le fameux mâle alpha n’est plus vraiment la norme…chez les primates.

Dans le comportement animal des primates, la domination est souvent attribuée aux mâles imposants et musclés. Il est sûr qu’avec les gorilles à dos argenté ou les babouins agressifs, l’image des mâles victorieux et supérieurs semble difficile à contredire. Une nouvelle étude basée sur plus de 120 espèces de primates suggère pourtant des comportements bien différents : la domination entre les sexes est fluctuante, souvent partagée et parfois en faveur des femelles… C’est une remise en cause factuelle des stéréotypes. L’étude remet également en question l’idée que le pouvoir réside toujours du côté de la force brute.
L’étude internationale a été publiée dans les Actes de l’Académie nationale des sciences1. Elle a été menée par des chercheurs de l’Université de Montpellier, du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology et enfin du Deutsches Primatenzentrum GmbH (DPZ). Au total les chercheurs ont analysé plus de 100 000 agressions filmées au sein de 253 populations de primates. Les résultats questionnent les anciennes hypothèses en biologie évolutive concernant le pouvoir masculin et la passivité féminine dans le règne animal.

La guerre des sexes plus fréquente que prévue
Les agressions intersexuelles, impliquant mâle(s) et femelle(s), se sont révélées beaucoup plus fréquentes que ce que l’on imaginait. Près de la moitié des interactions agressives observées dans des groupes mixtes impliquaient des individus de sexes opposés.
« L’observation selon laquelle, dans la plupart des populations, un individu donné est plus susceptible d’être impliqué dans un conflit avec un individu du sexe opposé plutôt que du même sexe souligne que la bataille des sexes est courante chez les autres animaux », a déclaré Dieter Lukas de l’Institut Max Planck.
Les chercheurs ont analysé les interactions enregistrées entre les individus de différentes espèces afin de voir quel sexe s’imposait à la fin du conflit. Un sexe est considéré comme dominant s’il gagnait plus de 90 % des affrontements intersexes.
… une domination des mâles chez les primates remise en question
Parmi les 151 populations, une nette domination des mâles (ils remportent plus de 90 % des conflits) n’a été constatée que dans seulement 25 des populations. La domination féminine, bien que moins fréquente, était présente dans 16 populations. Les autres populations – environ 70 % – ne présentaient ni prévalence sexiste évidente ni équilibres.
Au-delà de ces statistiques inattendues les résultats de l’étude comportementale remettent en question la croyance selon laquelle les structures de pouvoir patriarcales seraient biologiquement innées chez les primates. Au contraire, la dominance apparaît comme un trait très variable, façonné par l’écologie, les systèmes de reproduction et la structure sociale.

Les femelles au pouvoir ?
La dominance féminine est plus fréquemment observée chez les espèces présentant des caractéristiques spécifiques : couples monogames, dimorphisme sexuel de taille limité et modes de vie arboricoles. Dans une telle configuration, les femelles primates disposent généralement d’une plus grande liberté dans le choix de leur partenaire et peuvent contrôler l’accès aux ressources.
Les structures de pouvoir à prédominance féminine sont également favorisées lorsque l’éducation des jeunes présente peu de risques. Chez les espèces où les mères, pour se nourrir, regroupent leurs petits plutôt que de les porter avec elles, les confrontations avec les mâles sont moins risquées pour les jeunes. Cette sécurité pourrait encourager l’affirmation de soi des femelles.
« Selon l’étude le pourcentage d’affrontements intersexuels remportés par les femelles présente une variation intraspécifique importante, allant par exemple de 0 à 61 % chez les singes patas
(Erythrocebus patas) ou de 48 à 79 % chez les bonobos (Pan paniscus ). «

Les mâles, pas tant de pouvoir que cela…
À l’inverse, la dominance masculine prévaut chez les espèces évoluant principalement au sol, où les mâles ont un corps ou des armes plus imposants que les femelles, et où ils s’accouplent avec plusieurs femelles. « Il est crucial de noter que, si les primates mâles acquièrent du pouvoir par la force physique et la coercition, l’autonomisation des femelles repose sur des voies alternatives, telles que des stratégies reproductives pour contrôler les accouplements », explique Élise Huchard, de l’Université de Montpellier.
En résumé, une domination écrasante des mâles n’a été observée que pour 17 % des populations étudiées. “Nous ne nous attendions pas à ce que cela représente la majorité parce que nous connaissions déjà bien la littérature [scientifique] sur le sujet, mais nous ne pensions pas que ce serait en dessous de 20 %”, indique à BBC Science Focus Élise Huchard, écologiste comportementale à l’Université de Montpellier, et première autrice de l’étude.
« la dominance mâle stricte se retrouve principalement chez les grands singes et les catarrhines (c’est-à-dire les singes africains et asiatiques), la dominance femelle stricte se produit principalement chez les strepsirrhines (c’est-à-dire les loris, les galagos et les lémuriens malgaches), et un biais sexuel limité ou nul dans la dominance caractérise la plupart des platyrrhines (c’est-à-dire les singes sud-américains).«
Les résultats de l’étude ont des implications importantes pour notre compréhension de l’évolution du comportement social chez les primates. Cela peut également éclairer notre compréhension des comportements sociaux dans l’espèce humaine. Le fait selon lequel il est presque aussi probable que les femelles dominent les mâles que l’inverse, et l’absence de préjugés sexistes clairement établis au niveau du pouvoir dans la plupart des sociétés de primates, remettent en question les conceptions traditionnelles de l’origine naturelle des rôles de genre.
Les chercheurs concluent “notre étude met en évidence le fait que les relations de domination mâle-femelle affichent de fortes variations. Elle identifie aussi les traits associés à l’émergence d’une domination des mâles ou des femelles dans l’histoire et l’évolution des primates, ce qui pourrait améliorer notre compréhension de l’origine des rôles genrés dans les premières sociétés humaines”.
Source
L’évolution des relations de dominations mâle femelle dans les sociétés de primates
PNAS
Courrier international
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