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Dans la grotte Mayenne-Sciences, l’imagerie hyperspectrale (HSI) révèle des tracés paléolithiques disparus
Romain Lahaye

Etudier l’art pariétal consiste d’abord à bien voir et bien documenter les tracés. Le problème, c’est que dans une grotte, beaucoup de tracés ont été atténuées par le temps : certaines matières colorantes s’estompent et des coulées de calcite peuvent recouvrir une partie des dessins et peintures, au point de rendre certains détails invisibles.
Les outils numériques (photographie, logiciels d’amélioration d’images comme DStretch®) ont déjà permis de mieux lire certaines figurations, mais ils restent limités car ils travaillent surtout dans le visible.
L’imagerie hyperspectrale change la donne : au lieu d’enregistrer seulement une image “en couleurs”, elle mesure de très nombreuses longueurs d’onde (dans le visible, mais aussi dans le très proche infrarouge) et permet ainsi de mieux séparer ce qui relève de la matière colorante, de la paroi et des couches d’altération (notamment la calcite).
L’imagerie hyperspectrale : voir au-delà d’une photo
Un article récent de Lahaye et al. évalue ce que l’imagerie hyperspectrale VNIR (Visible–Near InfraRed) peut apporter à l’étude de l’art pariétal paléolithique pour lire des tracés altérés, distinguer des pigments proches et repérer des détails passés inaperçus.
Le cas d’étude est la grotte ornée Mayenne‑Sciences (Thorigné‑en‑Charnie, Mayenne), attribuée au Gravettien, avec surtout des dessins effectués au charbon noir sur concrétions calcaires, souvent altérées et partiellement masquées par des écoulements de calcite.
Cette étude révèle aussi des enjeux de terrain : tester une acquisition hyperspectrale en grotte profonde sous éclairage artificiel, dans un contexte très contraignant (obscurité totale, forte hygrométrie, particules fines).
Un terrain difficile, une méthode calibrée

Mayenne‑Sciences est une cavité du karst de Saulges, découverte en 1967, dont le parcours actuel est d’environ 60 m (et ~50 m si l’on raisonne sur l’entrée paléolithique probable).
Les recherches y recensent 59 unités graphiques (animaux, signes, motifs indéterminés, marques rouges), avec un corpus notable de chevaux, mammouths, bison et des signes triangulaires aux bords arrondis, ainsi que des mains rouges. Des datations radiocarbone sur un cheval situent au moins une partie des tracés vers 26 666 ± 864 à 27 255 ± 413 cal BP.
Les difficultés de lecture des tracés sont typiques des grottes ornées, mais ici particulièrement sensibles : contrastes faibles, “voiles” calcitiques, superpositions, et disparition partielle du pigment rendant certains tracés quasi illisibles à l’œil nu ou en photographie standard.
Hyperspectral : ce que mesure réellement l’HSI
L’imagerie hyperspectrale ne se limite pas à “prendre une image” : elle enregistre, pour chaque pixel, un spectre (une signature spectrale) sur des bandes nombreuses, contiguës et finement échantillonnées, formant un cube de données (hypercube). Dans cette étude, l’acquisition est réalisée en VNIR (≈ 400–1 000 nm), ce qui permet à la fois d’optimiser le contraste dans le visible et d’exploiter des informations discriminantes dans le très proche infrarouge, là où la photographie classique est aveugle. L’idée clé est analytique : plutôt que d’interpréter seulement une “couleur” ou un contraste, on compare des signatures spectrales (pigment, calcite, argile, paroi), et on peut ainsi mieux séparer des matériaux visuellement proches.
Protocole d’acquisition et traitement
Pour travailler, l’équipe utilise un imageur hyperspectral (Specim IQ) : au lieu de faire une simple photo en couleurs, l’appareil enregistre pour chaque point de la paroi une “empreinte” de lumière très détaillée (son spectre), ce qui aide à distinguer le pigment de la roche, même quand le dessin est très effacé.
Dans le noir total de la grotte, l’éclairage est déterminant : deux projecteurs halogènes puissants (2 × 750 W) ont donc été retenus car ils fournissent une lumière continue et homogène sur toute la plage de longueurs d’onde étudiée, avec un signal stable. Les LED consomment et chauffent moins, mais elles peuvent présenter des variations d’intensité et de température de couleur, parfois imperceptibles à l’œil nu, mais gênantes pour des mesures fiables.
Avant de scanner les dessins, le protocole prévoit aussi une étape de réglage et de “calibration” : en pratique, l’appareil mesure une référence blanche (et une référence sombre) pour corriger l’éclairage et pouvoir comparer correctement les zones peintes et non peintes.
Ensuite, les données sont traitées dans un logiciel spécialisé, et comparées à une image couleur classique prise au même endroit, ainsi qu’à des améliorations d’images de type DStretch®.
Enfin, l’étude privilégie un traitement mathématique (ACI/ICA) qui sert à “démêler” automatiquement ce qui relève du pigment, de la paroi et du bruit, ce qui est particulièrement utile quand les tracés sont faibles, masqués ou presque invisibles.
Résultats : découvertes et relectures permises par l’HSI
Parmi les résultats marquants, l’analyse hyperspectrale a permis d’identifier un nouveau signe triangulaire aux bords arrondis, jusque-là invisible à l’œil nu entre deux ensembles de traits. Ce type de signe n’est pas isolé : on en compte déjà 25 dans les grottes très proches de Margot et de Mayenne‑Sciences, et on en connaît aussi sur quelques plaquettes de la grotte Rochefort.

Sur le panneau XIII, l’imagerie hyperspectrale permet désormais de voir nettement des portions du tracé du bison (n°14) qui étaient masquées par une coulée de calcite, notamment au niveau de la jonction entre la ligne de dos et l’encolure. Des tracés sur ce même panneau laissent entrevoir ce qui pourrait être un théranthrope schématique.

Droite, photographie par imagerie hyperspectrale (HSI) laissant apparaître des tracés invisibles à l’œil nu. Le probable thérantrope L est beaucoup plus identifiable. Le dos du bison présente un bombement au niveau du garrot qui l’apparente aux représentations anciennes de « bisons-mammouths » de grottes périgourdines comme Font-de-Gaume.
Échelle : 10 cm. Crédits : Frédéric Donze et Bernard Schmitt.
La méthode ne “fait pas revenir” le dessin : elle améliore la lecture en séparant mieux le signal du pigment de celui du support et des dépôts, ce qui rend accessibles des détails devenus illisibles en observation directe.
Elle a aussi rendu certains éléments plus nets (épaisseur/continuité de traits, détails comme la queue auparavant non visible) et aide à discuter certaines interprétations associées au panneau. Ainsi, les auteurs estiment que deux chevaux semblent avoir été tracés en plusieurs étapes, avec des indices de couches et d’états distincts mis en évidence par la séparation spectrale.
Romain Lahaye
Archéologue, spécialiste des arts rupestres
Docteur en Histoire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Entrepreneur individuel (EI) – Micro‑entreprise « Archéorizons »
Source :
Lahaye R., Donzé F.V., Schmitt B., Pigeaud R. 2025 – Découvertes de tracés inédits par imagerie hyperspectrale dans la grotte ornée paléolithique Mayenne-Sciences (France), Comptes Rendus Palevol, 24 (26), p. 531‑544.













Emmanuel Anati





