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La compassion chez les hommes préhistoriques, un thème d’étude à part entière.
De plus en plus de preuves en faveur d’un homme préhistorique qui prend soin des siens, des invalides et des personnnes âgées. |
Publié dans le journal Time and Mind, objet d’un livre, « The Prehistory of Compassion », le travail de l’archéologue Penny Spikins et de ses collègues de l’université d’York (Royaume-Uni), est sans doute la première étude exclusivement consacrée aux manifestations de la compassion chez les hominidés fossiles.
Un nouveau champ de recherche ?
Partant du constat que, si l’on discute souvent la façon dont pensaient les hommes archaïques, savoir comment ils ressentaient semble hors du champ de la science, P.A. Spikins, H.E. Rutherford et A.P. Needham, du département d’archéologie de l’université d’York, inaugurent une « archéologie préhistorique de la compassion ». Penny Spikins précise : « Nous avons traditionnellement prêté beaucoup d’attention à la façon dont les premiers humains pensaient les uns aux autres, mais il serait temps de savoir s’ils prenaient soin les uns des autres ».
Pour ce faire, extrapolant peut-être certains de nos gestes de sollicitude « machinaux », ou même ceux des chimpanzés, mais aussi en s’appuyant sur la documentation fossile et archéologique, ils proposent l’esquisse d’un véritable scénario en quatre étapes.
Des suppositions aux preuves
Il y 6 millions d’années, d’abord, l’ancêtre commun à l’homme et au chimpanzé – un ancêtre au demeurant non encore bien défini par la science – écarte une branche pour faciliter le passage à l’un de ses congénères, ou lui adresse un simple geste de réconfort : premiers signes de sollicitude. Plus tard, il y a 1,8 millions d’années, chez notre ancêtre Homo erectus, une certaine forme de compassion commence à être « régulée » dans une ébauche de pensée rationnelle : émergence d’une attention portée aux malades, d’une attitude particulière face à la mort d’un congénère, manifestations d’empathie vis-à-vis de l’autre.
Mieux documentée, la suite du scénario se déroule dans l’Europe du Paléolithique inférieur et moyen, entre 500 000 et 40 000 ans avant notre ère. Chez Homo heidelbergensis et Homo neanderthalensis, la durée de la période adolescente et l’interdépendance via la chasse collective supposent une prise en compte des différences. Surtout, les restes fossilisés de deux spécimens témoignent d’une incontestable prise en charge d’individus faibles et dépendants : l’un, un enfant porteur d’une pathologie congénitale du cerveau, qui a survécu au sein du groupe jusqu’à l’âge d’au moins cinq ans; l’autre, un néandertalien infirme d’un bras et d’un pied, privé d’un œil, ayant vécu jusqu’à vingt ans environ.
On pourrait compléter ces exemples en citant le célèbre Homme de La Chapelle-aux-Saints, découvert en 1908 en Corrèze : ce Mathusalem néandertalien, dont le préhistorien Jean-Louis Heim estime l’âge à 50 ou 60 ans, souffrait d’arthrite dans les cervicales, d’une hanche déformée, d’un genou abîmé et d’une usure totale des dents, des handicaps survenus au fil de son existence, et nécessitant une attention quotidienne de la part de son entourage.
Nouveau champ mais idée ancienne
Les auteurs terminent leur scénario par le développement, chez Homo sapiens, à partir de 120 000 ans, de ce sentiment de compassion, qui finira par s’étendre aux étrangers et même aux animaux. Ils concluent que la documentation archéologique – via l’imagerie médicale, notamment – a encore une longue histoire à nous raconter, même sur des éléments aussi difficilement appréhendables que les sentiments humains.
Cependant, certains chercheurs défendent ces thèses depuis assez longtemps, comme les Français Marylène Patou-Mathis, ardente défenseuse de l’humanité de Néandertal, et Pascal Depaepe, qui explique, à propos des hommes de l’Acheuléen, dans son livre paru il y a un an : « Le crâne de Salé, au Maroc, présente (…) d’autres malformations ; la vie de cette femme aurait sans doute été impossible sans l’aide de son entourage. À Atapuerca, deux cas similaires sont attestés : un homme sourd et un homme atteint d’inflammation osseuse, témoignages de solidarité et d’humanité. »
L’étude d’Elvis à Atapuerca, une preuve récente de cette compassion
Les scientifiques espagnols ne sont pas en reste. Entamée en 1994, l’étude du gisement fossile des grottes d’Atapuerca (nord de l’Espagne), inscrites au patrimoine mondial de l’humanité, vient justement de livrer aux chercheurs de l’université de Madrid une nouvelle preuve de cette « paléo-compassion ». L’examen du bassin et de la colonne vertébrale d’un Homo heidelbergensis daté de 500 000 ans montre que l’individu, bossu, souffrait d’une
excroissance osseuse vertébrale et d’un glissement de vertèbre douloureux, s’aidant peut-être d’une « canne » pour se déplacer. Ayant atteint l’âge avancé de 45 ans environ, Elvis, comme l’ont surnommé les chercheurs, ne peut qu’avoir été longuement assisté et nourri par ses proches. «Sa survie pendant une période aussi longue avec un tel handicap laisse supposer que le groupe nomade dont il faisait partie prenait particulièrement soin de ses anciens», conclut Alejandro Bonmatí, directeur de cette étude, qui imagine que la précieuse expérience du vieillard lui valait le respect de tout le groupe.
Bassin de la Sima de los Huesos, surnommé Elvis. C’est le bassin fossile le plus complet. Il a appartenu à un mâle de près de 175 cm de hauteur et de 100 kilos. L’Homo heidelbergensis était une espèce très forte et pourvue de hanches plus larges que les nôtres. L’accouchement de leurs femmes devait être moins difficile que celui des femmes d’aujourd’hui.
F. Belnet
Sources :
Photos : Kroko (Exposition Atapuerca, Paris 2009)
– SciencesDaily
– NewScientist
– Le Figaro